Demain. Après de longues semaines de préparation, de rumeurs - parfois spontanées, parfois implantées par son équipe de communication - de réunions à n'en plus finir, de dossiers jamais finis, de gallions dépensés, le moment fatidique arrive enfin. Kingsley ne se représentera pas aux élections de Ministre de la Magie et le parti intégrationniste l'a investie pour prendre sa succession. Il est bien loin le temps où la jeune Miss Granger tenait tête à Scrimgeour, lui assénant avec bravade qu'elle voulait aider les gens et non faire de la politique. Sur le fond, son sentiment n'a pas tellement changé, elle s'est juste rendue compte que le Ministère pouvait être une source de changement positif. Encore fallait-il le peupler des bonnes personnes. Fort heureusement, les choses ont évolué dans le bon sens et la plupart des employés sont désormais des personnes avec un sens du service public et une volonté de bien faire. Mais elle a une opportunité d'aller plus loin, de réformer encore plus le système politique, éducatif… Qui sait, carcéral, financier. Mais ces questions là sont plus complexes et sujettes à la division, aussi, la candidate les garde pour elle et son staff, pour le moment. Et puis, elle a bien assez de pain sur la planche comme ça.

Refermant la pochette, où elle rature et peaufine encore son discours pour son grand meeting de lancement de campagne, Hermione se masse doucement l'arrête du nez, puis pose ses lunettes de repos sur la table basse. Il n'est pas encore très tard, mais elle s'étonne tout de même de ne pas voir Ron rentrer. Maintenant que les enfants sont retournés à Poudlard, peut-être profite-t-il de sa soirée pour boire un verre avec des amis, avant l'effervescence de la campagne. La brune hésite à lui envoyer un message sur le cloud, mais décide de s'abstenir. Il serait de très mauvais goût de sa part de s'enquérir des allers et venues de son époux, alors qu'elle a passé le plus clair de son temps au bureau ces derniers mois.

Elle préfère donc vider les restes du repas indien qu'ils ont commandé la veille dans une assiette et faire réchauffer le tout au micro-ondes. Tandis que la machine tourne, elle se sert un verre de vin rouge. Elle est tentée de retourner à son discours, mais se dit qu'il serait plus sage de se détendre devant un film ou une série. Rose lui a parlé en long, en large et en travers de Young Royals et elle est curieuse de voir de quoi il s'agit, car si la bande-annonce lui a paru assez creuse, elle a confiance en le jugement de sa fille. Alors qu'elle entame une première bouchée et s'apprête à allumer la télévision, le bruit de la porte qu'on déverrouille se fait entendre.

Hermione lève la tête et adresse un sourire à son époux. « Hey you. Ca va? » D'un signe de la tête, elle désigne le son plat, puis le frigo. « Il en reste un peu, si jamais tu as faim. » Il faut vraiment qu'ils reprennent l'habitude de commander pour deux et non pour quatre, s'ils ne veulent pas manger indien pendant trois jours à chaque commande. D'autant que ses deux enfants semblent avoir hérité de l'appétit gargantuesque des Weasley, au grand plaisir de leurs grand-mères. La brune se lève alors pour accueillir Ron dans la pièce à vivre et l'enlace doucement, avant de demander « Tu as passé une bonne journée? » Elle sourit, s'efforçant de ne pas penser à demain, de ne pas penser au travail, de profiter de ce moment de calme avant l'inévitable tempête.

Ron ferme la boutique et soupire après avoir expliqué avec une grande patience les effets indésirables de leurs derniers bonbons rétrécissants a un client s’étant glissé dans la bâtisse cinq minutes avant la fermeture, ce qui a tout d’absolument agaçant vous en conviendrez. Et alors que le chemin de traverse se vide sous ses yeux, Ron ne parvient pas à se résoudre à prendre le chemin de son appartement de Westminster. Si ses amis et sa famille aiment le taquiner sur son nouveau confort financier, Ron ne se sent pas forcément à sa place dans le monde d’Hermione. Bien sûr, ils auraient pu faire des compromis, mais pour cela il aurait fallu que le Weasley s’exprime sur le sujet, ce qu’il n’a jamais fait bien entendu, quelle idée. A l’époque, il avait vu tout cela comme un mal temporaire, après tout, vivre en plein centre ville au milieu des buildings dressés fièrement devant lui avait son attrait pour un jeune homme issu d’une famille modeste comme la sienne. Ron était finalement le même petit garçon émerveillé par l'héritage d'Harry. Aujourd’hui, il a l’impression de devenir son frère Percy, ce qui n’a rien d’agréable pour son ego, même si leurs relations se sont améliorées au fil du temps.

Plutôt que de marcher jusqu’à chez lui, il décide donc de faire un stop au Chaudron Baveur, ce qui lui vaudra sans doute une remarque honnête de la part de sa femme qui est pourtant habituée à le voir vaquer à cette occupation somme toute très britannique, mais Ron se décide néanmoins. A quoi beau rentrer pour se retrouver seul avec le chat ? Avec toutes ces soirées de s’occuper des enfants tandis qu’Hermione et Kingsley s’évertuaient à changer le monde magique, Ron ne voit pas vraiment pourquoi il ne pourrait pas boire une bièreauberre avec de vielles connaissances. Lorsqu’il entre au Chaudron, l’élection est bien entendu sur toute les lèvres cela dit, et il ne trouve pas dans sa soirée le réconfort qu’il en attendait. Et tandis que les esprits s’échauffent et qu’il se retrouve inévitablement à prendre la défense de sa femme, Ron décide qu’il est mieux de rentrer. S’il pourrait transplaner dans son salon, il choisit cependant de prolonger sa soirée en faisant le trajet à pied. Quand il entre, il est toutefois surpris de croiser Hermione, plus surpris encore de la voir loin de ses dossiers. Sans prendre la peine de répondre à ses questions, il se permet d’ailleurs de la taquiner sans crier gare.

- Hermione Granger devant la télévision ??? T’es pas sous imperium rassure moi ?

Ron ne prend même pas la peine de répondre à sa question, de lui rendre son étreinte, décidant de passer directement à l'attaque. En d'autres circonstances, évidemment qu'elle aurait vu l'humour de la situation, ri un peu. Après tout, son époux est drôle. Il est un papa fun, qui possède un magasin de farces et attrapes, for Merlin's sake. Il a de l'humour, il est affable, sympathique. Il est aussi brusque et insensible. Il sait combien la journée de demain est importante pour elle, le stress engendré par la campagne qui va officiellement démarrer. Il sait qu'elle a mis de côté son travail dans une tentative maladroite de se détendre, un concept qu'elle a du mal à appréhender. Même ses lectures sont sérieuses, d'un essai sur la nécessité de réformer Azkaban à l'épais Black and British : A Forgotten History, qui trône sur sa table de chevet depuis quelques temps déjà. Alors qu'elle décide de se poser devant Netflix un soir comme aujourd'hui est improbable et sujet à la moquerie, la brune en a bien conscience. Mais elle aurait préféré qu'il s'abstienne, qu'il comprenne qu'elle ne voulait pas de ça, sans qu'elle doive tout lui expliquer, pour une fois.

Mais Hermione sait aussi qu'elle ne peut pas s'emporter pour si peu, que c'est une plaisanterie bon enfant de son mari, qui l'a soutenue, aimée et encouragée des années durant. Il ne serait pas rationnel de se disputer pour si peu, surtout qu'ils n'auraient guère d'autres opportunités de profiter d'un moment tranquille avant un moment. Elle prend donc le parti de plaisanter, y mettant autant de cœur que possible. « Il paraît que c'est ce que font les gens pour se détendre? Netflix and chill, I believe is what the kids call it? Je me suis dit que j'allais essayer! » La sorcière se dirige à nouveau vers le canapé et retourne à son vin et ses restes d'indien. Elle lève les yeux vers Ron, un sourire un peu plus doux et convaincant aux lèvres. « Would you care to join me? »