La soirée bat son plein. Comme d'habitude, pourrait-elle dire et elle aurait raison. Pas du genre à être faussement modeste, L.C sait quels sont ses talents. Par exemple, ce n'est pas conduire ou les mathématiques. Par contre, faire danser dans la sueur et les paillettes un groupe de jeunes et moins jeunes gens jusqu'au bout de la nuit, c'est tout à fait dans ses cordes. Un large sourire aux lèvres, son front luisant sous la chaleur des multiples sources de lumière et de la masse humaine, elle se penche sur sa table de mixage, s'assure que l'enchaînement des prochains titres lui convient et fait un petit signe à l'un des vigiles. Il hoche la tête et vient se poster devant le perchoir qui lui sert de cabine, la laissant rejoindre le bar pour une petite pause bien méritée. Après tout, il est 3h passés et son set va bientôt se transformer en une playlist progressivement plus chill pour emmener tout le monde vers la fermeture.

Elle adresse un sourire entendu à la jolie barmaid, qui lui sert un grand verre d'eau et un rhum-coca. Elle boit le premier de quelques traites, puis s'éclipse vers une petite porte, non sans un clin d'œil à la brune du bar. Son verre à la main et son paquet de cigarettes dans l'autre, elle pousse l'issue de secours pour se retrouver dans une petite allée de Camden, l'air frais de ce début d'automne offrant un agréable contraste sur sa peau bouillonnante. Un autre employé a l'air de prendre sa pause clope et Luisa s'approche donc, un éternel sourire aux lèvres. « Salut! » Quand il se retourne, elle ne peut cacher sa surprise et manque de cracher son rhum, mais il ne faudrait pas gâcher. « Ben? Ben Travers? Ca alors, je ne savais pas que tu bossais ici! » Dans un vieux réflexe, elle s'avance vers lui et le serre brièvement dans ses bras, ignorant l'espace d'un instant pourquoi ils ont arrêté de se fréquenter et pourquoi elle ne lui a pas parlé depuis des lustres. A cette heure ci, il n'y a plus de rancune. « Comment tu vas? Ca fait plaisir de te voir, t'as l'air en forme! » Et elle le pense. Ils ont eu leurs différents et la blonde se voit mal devenir sa bff du jour au lendemain, mais rien n'empêche de petites retrouvailles, plutôt cinématographiques d'ailleurs. L.C sans un peu de drama, ce n'est plus L.C après tout.

Pour ne pas changer, son ex a l'air aussi blasé que jamais. La revoir ne semble éveiller aucune émotion en lui. Il lui a semblé deviner un semblant de sourire, mais la blonde ne serait pas surprise de l'avoir purement et simplement imaginé, car c'est ce que font les personnes qui réapparaissent dans vos vies après quelques années, normalement. Mais la définition de la normalité est toute relative, L.C est mieux placée que beaucoup pour le savoir. Et, considérant la manière dont leur relation s'est terminée et le genre de propos que Ben avait pu tenir à l'époque, elle sait bien que leur normalité ne sera jamais la même. Mais l'univers est empli de surprises et sa dernière séance de cartes lui avait bien indiqué un événement surprenant, une rencontre inattendue. Comme toujours, elles ne se sont pas trompées. Elle retient donc un petit soupir devant le manque d'entrain du Travers et décide de saisir cette opportunité. Après tout, peut-être a-t-il évolué, mûri. Peut-être y a-t-il une autre raison qui font que leurs chemins se recroisent aujourd'hui. Ses dernières discussions avec son amie astrologue lui ont confirmé que cette année serait placée sous le signe de la découverte, l'apprentissage, la progression. Peut-être que Ben fait partie de ce chemin.

En attendant, L.C se contente d'un petit rire en l'entendant accepter à moitié son compliment. C'est vrai qu'il a de petites cernes et qu'il a cette mine un peu distante, un peu éteinte, des gens épuisés par une vie de labeur et d'obstacles. « Tu as l'air d'aller mieux, si tu préfères. » Elle ne saurait dire quoi, mais la blonde a la sensation qu'il a changé. Il lui semble être moins volatile, plus ancré dans le sol. Evidemment, elle ne lui dira pas, sous peine d'être sévèrement moquée, ou que ça dégénère en une dispute plus profonde. Luisa préfère donc poursuivre la conversation qu'il a lancé. « Je ne travaille pas vraiment ici, je fais juste des sets de temps en temps. Mais je viens des fois, je connais du monde. Miss Tick, Salvatore? » Quelque chose lui dit qu'il n'est pas si familier avec les drag queens et les danseurs qui performent régulièrement ici. Mais le simple fait qu'il travaille dans un lieu pareil est surprenant, alors, pourquoi pas. « Et toi alors? C'est bizarre qu'on ne soit jamais croisés avant! A moins que tu te caches en me voyant d'habitude. » Elle rit, histoire de bien faire comprendre qu'elle plaisante, puis allume enfin la cigarette qu'elle est venue fumer. En espérant ne pas faire partir en volutes ce qu'il reste de leur relation par une conversation maladroite à 3h du matin.

Homme de conversation comme à son habitude, Ben se contente de grommeler dans sa pseudo barbe qu'il ne connaît pas ses collègues. Ca ne l'étonne pas vraiment, même s'il pourrait tout de même faire un effort pour s'intéresser à ce qui se passe autour de lui. Mais bon, le simple fait qu'il travaille sous le même toit qu'une drag queen est un sacré pas en avant, considérant là où elle l'a laissé dans son développement personnel il y a quelques années. L.C n'a tout simplement plus le temps de traîner les valises émotionnelles des autres, surtout des hommes, qui passent déjà tant de temps à les imposer au reste de la société. Non, merci. Elle a assez donné. Mais, elle n'en est pas moins ravie de pouvoir retrouver Ben un peu plus loin sur son chemin. Sans doute l'univers l'a-t-il mis là pour une bonne raison et elle a hâte de découvrir laquelle. Evidemment, il rirait de l'entendre penser ainsi, mais ça ne change pas les faits. Il est hautement improbable qu'il se retrouve dans la petite allée derrière le Pandora's au beau milieu de la nuit et pourtant, les voilà. Le Soleil entrent en Balance ce mois-ci, c'est un temps pour pour s'adapter, trouver un sens de paix et d'harmonie. Evidemment, la présence d'un Mars  toujours combatif dans ce signe tout en délicatesse est compliquée, mais c'est peut-être l'occasion d'œuvrer à la réconciliation. Reste à trouver l'équilibre entre toutes ces énergies et jouer les bonnes cartes.

Luisa décide donc de ne pas jouer le jeu de la taquinerie, se contentant d'hausser une épaule évasive et tirer une bouffée de sa cigarette. « Je te les présenterai si tu veux, je suis sûre que tu adorerais la collection de vinyles de Salvatore. » Il soutient avoir un original des Clash après tout, c'est sûrement le genre de choses qui peut plaire à son punk d'ex. Ce dernier avance alors une hypothèse, peu convaincue et convaincante, de pourquoi ils ne se sont encore jamais croisés. Non pas qu'elle ne le croit pas - il n'a aucune raison de lui mentir, pas vrai? - mais il manque un peu d'entrain dans ses propos. Et bizarrement, elle le voit mal servir des bières aux touristes un peu perdus qui doivent constituer la majorité de la clientèle en journée. Soit, c'est une justification et la blonde n'a aucune raison de chercher plus loin. « Ca doit être ça ouais, je viens rarement quand il fait jour. » Pour ne pas dire jamais, L.C est une créature nocturne s'il en est.

Jamais réticente à papoter ou parler d'elle - c'est son ascendant Lion - elle répond sans rechigner à la question bateau de Ben. Si ce n'est qu'une politesse, c'est tant pis pour lui. Il devrait se souvenir qu'elle n'est pas du genre à jouer le jeu des simagrées. « Oh tu sais, rien n'a beaucoup changé, j'ai trouvé mon rythme. Je suis toujours barmaid, pas très loin d'ici d'ailleurs, je fais de plus en plus de DJ sets, ça marche bien. Et j'ai beaucoup de clients pour les cartes aussi, le bouche à oreille marche bien et les gens sont contents. Ils trouvent un peu de clarté en venant me voir, même si je préférerai que ça soit pas dans mon salon, mais bon hein, ça se saurait si la vérité rapportait. » Elle rit un peu, un air un peu distrait apparaissant sur ses traits. Luisa réalise qu'elle n'a pas tort, qu'il serait tellement plus facile de s'enrichir en racontant des balivernes à ses clients, en leur faisant miroiter des solutions miracles, la gloire. Pendant une seconde, elle s'imagine le scénario si clairement qu'elle a l'impression de le vivre. Mais la vision nette et précise s'envole et elle frissonne un peu. Elle n'aime pas imaginer qu'une version d'elle puisse suivre cette voie. L.C continue donc à fumer, un peu plus nerveusement et ajoute, par intérêt et non par ce que c'est le cours attendu de la conversation. « Et toi alors? Qu'est-ce qui t'as apaisé depuis le temps? »

Jamais très causant, Ben se contente de répondre à sa petite tirade sur sa vie professionnelle et son petit side business avec une banalité. Néanmoins, la blonde ne remet pas sa parole en question, ne doutant pas une seconde qu'il ne veuille que son bonheur et sa santé. C'est sans doute pourquoi rompre leur relation, pour le moins chaotique, était sans doute une excellente décision. Pour l'un comme pour l'autre d'ailleurs, puisqu'il ne risquait pas de trouver en L.C quelqu'un avec la patience nécessaire pour attendre qu'il panse ses blessures et apprenne à exprimer sainement ses émotions. Et puis, il y avait le petit problème de la colère qui émanait de lui, comme une vibration constante et qui s'était manifesté négativement à plusieurs reprises. Ainsi que l'homophobie qu'il traînait, reliquat d'une éducation dont elle ne sait rien, mais qu'elle devine rude et conservatrice.

Toutefois, il a un bon fond, une certaine sincérité. Jamais elle ne douterait de sa parole, de ses intentions et lui ferait confiance pour une tâche à accomplir, un secret à garder. Et puis, la vibration lui paraît moins intense. Toujours là, mais un peu en sourdine, moins agressive. La D.J l'interroge donc sur ce qui a pu causer cela et même s'il semble dubitatif, Ben a une réponse, prouvant donc son intuition. Un enfant. Une fille. Maintenant qu'il le dit, ça lui semble tout à fait logique. Quoi d'autre aurait pu lui donner une raison de se canaliser, de faire un douloureux travail émotionnel ?

Tirant une nouvelle bouffée de sa cigarette, la blonde lui fait un sourire chaleureux, s'abstenant cette fois de l'enlacer. Elle sait jusqu'où pousser les limites. « Félicitations Ben ! C'est un très joli prénom. » Commun, très anglais. Mais aussi porteur de promesses et de changement. To show people grace. The grace of God. Elegance and grace. Un mot riche, fort. Non pas qu'une enfant ne soit qu'un symbole, prédestinée par son prénom. Ou qu'elle se doive d'aider ses parents à mûrir ou évoluer, mais ce peut-être une excellente motivation. Pour offrir à sa progéniture ce que l'on a pas eu, souvent. « Tout a dû changer pour toi alors. C'est chouette. » Une grossière simplification sans doute, mais L.C ne peut pas exactement entrer dans toutes les émotions que cette annonce évoquent. D'abord, parce que ça ne la regarde pas vraiment, même si elle est assez émotive et intuitive et qu'elle porte encore une grande affection pour le tatoueur émotionnellement cabossé qui a croisé sa route, il y a bien des années maintenant. Mais surtout, parce que Ben détesterait ça. Surtout avec elle. Il ne comprendrait pas de quoi elle parle, de quoi elle se mêle. Il n'a jamais trop crû, compris ou apprécié sa façon de se mouvoir dans le monde. Elle se permet toutefois d'ajouter. « Je suis sûre que plein de belles choses vous attendent. » Une hypothèse qu'elle ne peut démontrer, mais L.C a un bon pressentiment.