S’il est vrai que Joe s’était pointé le jour de la sortie du SpeXbox avec en tête la saugrenue mais néanmoins alléchante idée que ça se vautre en beauté, il ne s’attendait pas à ce qu’elle se réalise aussi fort. Pourtant, il est bien là, à observer avec un intérêt presque pervers ce couple de passants moldus passer la porte de ce qui devrait être une boutique protégée par divers sortilèges repousse-moldus après avoir froncé les sourcils et passé les deux dernières minutes à se demander comment diable avait-on pu transformer cette bâtisse abandonnée en apple store en moins d’une nuit. Cruellement satisfait, le cracmol tire sur sa cigarette avec un rictus qu’on pourrait qualifier d’effrayant.

La vérité, c’est qu’il s’agit ici d’un pas de plus vers la fin du secret magique. La vérité éclatée au grand jour. Tout un tas de victimes enfin reconnues que le Ministère ne pourra plus enfouir sous un tas de sortilèges en privant au passage ces pauvres gens de leurs propres souvenirs. Et Joe pourrait regarder les choses se passer avec satisfaction, s’en aller sans regarder derrière lui. Mais Nomura ne se réjouirait pas d’une émeute. Il n’est pas inconscient. Aussi, il écrase sa clope et se décide à entrer dans la boutique où règne une agitation sans pareille. Il ne pourra pas empêcher l’apocalypse, mais il pourra au moins essayer de prévenir. Peut-être. Un peu.

Celles et ceux qui ont la « chance » d’être munis d’un casque de réalité virtuelle semblent bloqués dans leur imagination débordante – Captain America au tournoi des trois sorciers, vraiment ? – et les autres observent les choses se passer en comprenant petit à petit que tout est en train de dégénérer. « Vous devriez ranger cette baguette ailleurs que dans votre poche arrière. », annonce Joe à quelqu’un après lui avoir doucement tapé sur l’épaule. Du doigt, il désigne le couple qu’il a suivi à l’intérieur. « Y’a deux moldus qui se demandent quel personnage de l’Enfant Maudit vous cosplayez, juste là derrière. » Le sourire de Joe se mute en un rictus carnassier. Il ne devrait pas tant se réjouir de ce chaos… les conséquences risquent d’être terribles dans chacun des camps. Pourtant, il ne peut s’empêcher un accès de fébrilité en attendant la suite des évènements.

Mrs Granger-Weasley est une femme occupée s'il en est. Et comme beaucoup de mères de famille qui travaillent, elle a parfois du mal à jongler entre toutes ses obligations - réelles ou imposées par une société patriarcale qui n'avance qu'à petits pas - et éprouve de temps à autre une certaine culpabilité. D'avoir quitté le travail plus tôt pour se rendre à un récital de danse ou, un peu plus souvent, d'avoir raté une première fois de ses enfants, un dîner en amoureux ou une occasion de se détendre parce qu'elle était accaparée par ses tâches au Ministère. Elle fait de son mieux et ne s'en est pas si mal sortie, dans l'ensemble. Ses enfants sont polis - la plupart du temps - brillants chacun à leur façon, bienveillants, drôles, cultivés… Et elle est candidate au poste de Ministre de la Magie. Ca pourrait clairement être pire.

C'est donc plutôt pressée mais souriante qu'elle s'est frayée un chemin, tôt ce matin, vers le seul magasin spécialisé en jeux et technologies sorcières de Londres. Malgré l'aide de Victoire, la brune a tout de mal mal calculé son coup et s'est présentée le jour de la sortie du jeu SpeXbox, dont elle a malheureusement entendu parler. Contre lequel elle a longuement hésité à déposer une plainte pour utilisation abusive de son image d'ailleurs, mais après concertation avec son équipe, il est apparu que cela ne renverrait pas une image positive. Vieille sorcière aigrie par sa propre célébrité veut empêcher les enfants de s'amuser à Noël et de rendre hommage au héro de sa génération, etc etc. Il lui semble qu'un hommage digne de ce nom aurait été des réparations financières, un soutien psychologique, une mise en place des réformes que défend Harry depuis des années. Mais elle digresse.

Hermione est venu pour acheter le cadeau de son fils et c'est tout et elle n'a aucune intention de se laisser distraire. Son sac à la main, elle a presque accompli sa mission. Mais c'est un peu compliqué quand des gens qui semblent possédés par une machine gesticulent dans tous les sens et que des images de synthèse de personnages de la pop culture moldue comme magique se mettent à défiler dans tous les coins. Quelque chose cloche très clairement. Il lui semble qu'il y a également trop de monde dans cette boutique, malgré la popularité de SpeXbox. La candidate hésite. La politicienne en elle veut prendre la poudre d'escampette par la porte du personnel et laisser la Bridage de Réparation des Accidents Magiques s'occuper de ça. Mais, elle reste Hermione Granger. Elle ne peut pas simplement tourner la tête.

Aussi discrètement que possible, elle se camoufle derrière une étagère et envoie un message bref et concis au département concerné, via Patronus. Une technique qui ne rappelle pas que des bons souvenirs mais a prouvé son efficacité. Elle se dirige ensuite vers la sortie d'un pas décidé, se disant qu'elle peut faire un petit état des lieux depuis l'extérieur. Dans sa précipitation, la sorcière bouscule un des hurluberlus à lunettes 3D, qui évite la chute de peu. « Oh je suis désolée, ça va? » Elle n'est pas certaine qu'on l'entende, à travers le voile de la réalité virtuelle et ça ne la met pas des plus à l'aise d'ailleurs. Hermione compte bien sortir de là au plus vite.

Emma était une femme occupée, et comme pour toute working girl qui se respecte, il n’y avait pas grand-chose qui pouvait chambouler son emploi du temps calculé à la seconde près. Mais Emma (faut-il le rappeler ?) était également une journaliste : impossible pour elle de résister au doux fumet d’un scoop, même si ça impliquait de décaler l’ensemble de ses rendez-vous de la matinée. Alors quand elle détecta l’attroupement qui commençait à se former devant ce qu’elle supposa être un Apple Store, elle ralentit le pas. Elle avait beau ne pas être une grande spécialiste de la technologie, elle ne se rappelait pas avoir entendu parler d’un nouveau produit lancé par Apple, encore moins un produit appelé (elle plissa les yeux pour lire l’affiche sur la vitrine)... SpeXbox ?

Emma n’appréciait pas la foule. Être bousculée de toute part, très peu pour elle. Mais la curiosité la poussa tout de même à franchir le seuil de la boutique. Et à vrai dire, elle ne comprit pas vraiment ce qu’il s’y passait. C’était un sacré bazar, là-dedans. Il y avait des… Hologrammes ? Emma reconnut quelques personnages de pop culture dont son copain était fan. Encore un truc de geeks-marginaux, fut-elle tentée de penser, avec tout le peu d'indulgence qui la caractérisait. En temps normal, elle aurait fait demi-tour aussi sec, pourtant il y avait dans toute cette agitation comme un soupçon d’anormalité. Quelque chose était en train de se passer, elle le ressentait au creux de son ventre.  Même la sortie de l'iPhone 13 n'avait pas provoqué un tel capharnaüm .

Une femme visiblement pressée bouscula un participant, qui évita la chute en s’agrippant à Emma. Surprise, elle se dégagea en pestant. « Rah, faites gaffe. » Elle fusilla la personne du regard, ce que cette dernière ne vit pas, puisqu’elle portait une paire de lunettes. Puis Emma repéra un homme qui se positionnait manifestement en spectateur. C'était peut-être sa seule chance d'en apprendre un peu plus sans avoir à discuter avec un nerd surexcité. Elle s’approcha, espérant ferrer le poisson. Une lueur de curiosité au fond du regard, elle s’enquit, inconsciente du fait que sa question trahissait sa nature moldue : « Excusez-moi, qu’est-ce qu’il se passe ici ? »